“La politique de rigueur” d'Emmanuel Macron ?
Le gouvernement a annoncé des économies pour 2024 et pour 2025, une démarche qualifiée de «
politique d’austérité » par plusieurs élus de gauche. Si une politique de rigueur peut poursuivre
différents objectifs, elle se caractérise par une baisse des dépenses publiques ou une augmentation
des prélèvements obligatoires.
Les économies de 10 milliards d’euros sur le budget de l’État pour 2024, mises en œuvre par un
décret publié fin février, constituent « une première étape », ont déclaré mercredi dernier le ministre
de l’Économie, Bruno Le Maire, et le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave.
Auditionnés par la commission des Finances de l’Assemblée nationale puis par celle du Sénat, ils ont
annoncé qu’il faudrait faire « au moins 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires » en 2025,
contre 12 milliards initialement prévus.
Si les économies de 10 milliards d’euros sont uniquement supportées par l’État, Bruno Le Maire et
Thomas Cazenave ont prévenu que l’effort attendu en 2025 devrait être « partagé par tous », y
compris donc par la Sécurité sociale et par les collectivités territoriales. Plusieurs élus de gauche les
ont accusés de mener une « politique d’austérité », à l’instar du député LFI Éric Coquerel. Le
gouvernement « continue à s’enferrer dans une logique contraire à l’intérêt économique du pays et
dont vont pâtir énormément de nos concitoyens », a-t-il estimé mercredi dernier.
Lorsqu’un État cherche à réaliser des économies, il mène une politique dite de « sérieux budgétaire
», de « stabilisation », de « rigueur » ou encore d’« austérité ». Ces termes revêtent dans le langage
courant des connotations différentes. Toutefois, pour la science économique, il s’agit de synonymes
dans la mesure où ces différentes expressions ne correspondent pas à une définition chiffrée. Ainsi,
elles désignent de manière générale une politique économique restrictive, qui se veut l’inverse de la
relance.
Une politique de rigueur consiste pour un État à réduire les dépenses publiques ou à augmenter les
prélèvements obligatoires (impôts, taxes, cotisations sociales). Elle est menée dans le but de réduire
l’inflation, c’est-à-dire la hausse généralisée des prix, ou le déficit public, qui provient de l’État et des
autres administrations publiques (collectivités territoriales et organismes de Sécurité sociale) lorsque
leurs dépenses excèdent leurs recettes. Avec les économies annoncées, le gouvernement français a
pour objectif de diminuer le déficit public – il prévoit de le porter à 4,4 % du PIB (la production totale
de biens et services) fin 2024 puis à 3 % fin 2027, contre plus de 5 % fin 2023 (le chiffre exact n’est pas
encore arrêté). Le gouvernement a exclu d’accroître les prélèvements obligatoires, préférant donc agir
sur les dépenses. Depuis 1975, la France enregistre chaque année un déficit public, essentiellement
creusé par l’État.
Le gouvernement veut réduire le déficit public pour plusieurs raisons, l’une étant le respect des règles
européennes. Pour garantir la stabilité de l’économie européenne, les États membres de l’UE sont
en effet tenus de limiter leur déficit public à 3 % de leur PIB depuis le traité de Maastricht, adopté en
1992. La France a respecté cette règle à seulement neuf reprises, la dernière fois en 2019. Une autre
raison est la maîtrise de la dette publique. Pour financer son déficit, l’État emprunte de l’argent sur
les marchés financiers à travers l’émission d’obligations, qui donnent lieu au paiement annuel d’un
intérêt. En raison de l’inflation et de l’augmentation des taux d’intérêt directeurs décidée par la
Banque centrale européenne, l’État français emprunte à des taux de plus en plus élevés et doit donc
consacrer une part croissante de son budget au paiement des intérêts. La dette publique est « un
mécanisme anti-redistributif » dans la mesure où « l’ensemble de la population paie des impôts pour
que l’État verse des intérêts aux détenteurs » des obligations d’État « qui comptent en général parmi
les plus fortunés », précisait l’économiste Jean-Marc Daniel dans un article de 2023.
En 2022, les dépenses publiques ont représenté 58,3 % du PIB de la France, contre 34,7 % en 1960,
selon les données de l’institut national de statistiques Insee. Cette part place la France au premier
rang des pays de l’UE pour le niveau de ses dépenses publiques, selon les données de l’institut
européen de statistiques Eurostat. Fin 2022, les dépenses publiques représentaient en moyenne 50,9
% du PIB des États membres de l’UE.
En réduisant les dépenses publiques ou en augmentant les prélèvements obligatoires, une politique
de rigueur agit directement sur la demande des agents économiques (ménages, entreprises,
administrations publiques). Cette politique a le plus souvent pour conséquence de freiner la
croissance économique, au moins à court terme. Elle peut aussi contribuer à accroître les inégalités
sociales. Une politique d’austérité a également un coût humain élevé, insistaient les chercheurs David
Stuckler et Sanjay Basu dans un ouvrage de 2014. S’appuyant sur l’analyse de statistiques
internationales de santé publique, ils examinaient les conséquences des mesures de rigueur pour les
populations. Ils montraient qu’en raison des coupes effectuées, en particulier dans les aides sociales
et dans la prévention, elles aboutissent à une augmentation des maladies, des suicides et de la
consommation de drogues et d’alcool ainsi qu’à la diminution de l’espérance de vie.
Pour le gouvernement français, les économies programmées ne relèvent pas d’une politique de
rigueur. « On est très loin de l’austérité. Les dépenses de l’État ont augmenté de 23 % entre 2019 et
2023 », rappelait Thomas Cazenave lors de son audition au Sénat, tout en soulignant que plusieurs
budgets touchés par le décret de février restaient malgré tout en augmentation sur un an. Les
économistes sont divisés quant à la nature de l’effort envisagé par le gouvernement. Les économies
attendues ne relèvent pas d’une politique de rigueur pour Éric Heyer, qui recommande toutefois de «
ne pas aller trop vite » dans la réduction des déficits publics. Thomas Porcher défend le point de vue
inverse, estimant que de telles économies ne sont « jamais indolores ». L’État français n’a jamais
mené une politique d’austérité stricte consistant à baisser les pensions de retraite ou les salaires des
fonctionnaires, comme l’ont fait la Grèce ou le Portugal au début des années 2010.
Dans un article publié en juillet sur le site The Conversation, l’économiste Jean-Marc Daniel présente
les effets négatifs de comptes publics dégradés, en particulier d’une dette publique élevée. Il estime
qu’une politique de rigueur peut permettre le retour d’une croissance économique plus vigoureuse à
condition de respecter certaines conditions, comme la mise en place d’une fiscalité plus écologique.
Lire son analyse.
Comment la France peut-elle avoir des dépenses publiques élevées et en hausse, mais aussi des
services publics qui se dégradent ? Le professeur de sciences économiques Bertrand Blancheton
répond à cette question dans un article publié en mai sur Vie-publique.fr, un site de l’administration
française.
Lire ses explications.